Tous les économistes s'accordent sur un point, la croissance économique va de pair avec une croissance de la demande énergétique. Même si l'évolution des technologies, des processus de production ont permis de réduire la part de l'énergie dans la production d'un bien en 30 ans, il n'en reste pas moins que la croissance de la demande de pétrole dans le monde a fluctué autour des 2%/an ces dernières décennies ( et ce malgré une économie tournée toujours plus vers les services). L'émergence de nouvelles puissances industrielles, principalement la chine mais aussi la plupart des pays en forte croissance, a placé sur le devant de la scène économique internationale la question cruciale de l'accès à une énergie abondante et peu chère. Cette "explosion" de croissance en provenance de l'Asie a mis en exergue le relatif sous-investissement pétrolier dans les années 90 sur fond de pétrole bon marché ( 12$ le baril en 1998). Ces tensions sur la demande font dire à la plupart des commentateurs que le choc pétrolier que nous vivons est à différencier des précédents chocs pétroliers intervenus dans les années 70. Ces derniers se fondaient sur une raréfaction de l'offre sur fond de politique de l'OPEP plus restrictive. La "crise" pétrolière actuelle s'en distinguerait fondamentalement. Doit-on en conclure qu'une "normalisation" de ces tensions interviendra dans un futur proche consécutive à la mise production de nouvelles capacités?
Je ne le pense pas. Un nouveau paradigme pétrolier semble se dessiner. Il prend corps depuis deux ans mais la plupart des observateurs préfèrent encore l'écarter. Il s'agit d'un possible plafonnement de la production pétrolière.
Cette réflexion, je l'ai menée depuis près de 3 ans. Au départ sceptique, je me suis orienté de plus en plus vers un scénario plus "tendu" en matière de ratio offre/demande. De nombreux questionnements subsistent mais un renversement de tendance semble sur le point de voir le jour.
Suite à plusieurs rencontres notamment avec Jean lahèrrere ( lors d'une conférence organisée par Amiral gestion), M.Bauquis et divers géologues (notamment certains spécialisés dans la modélisation des failles à l'intérieur d'un réservoir pétrolier), je me suis "converti" à l'idée que notre avenir énergétique allait être bien plus délicat pour les décennies à venir. Sans parler de l'émergence de la chine et de cette croissance "émergente" énergivore, les "fondamentaux" de l'offre pétrolière semblent "se détériorer". Non pas qu'il s'agisse d'une politique menée par les membres de l'OPEP mais plutôt le fruit de la géologie.
Le phénomène de dépletion:
C'est un phénomène géologique classique auquel sont confrontés tous les producteurs de pétrole.
Petit résumé rapide et simplifié à l'extrème sur la "naissance" du pétrole :
Un réservoir pétrolier est une accumulation de sédiments transformés avec le temps, et la géologie, en liquide et en gaz. Sous la pression du gaz qui s'est accumulé lors du réchauffement pendant quelques millions d'années, le liquide remonte à la surface et connaît deux variantes:
-soit il est arrété par une couche géologique hermétique, et dans ce cas, il constitue un réservoir pétrolier, éventuellement exploitable en fonction de la porosité de la roche, la qualité du pétrole, etc.
-soit il remonte à la surface et se dégrade avec l'usure du temps, les fameux "sables bitumineux".
-Il se peut que la "maturation" des sédiments ne soit pas assez longue. On parle alors de kérogène.
Des modes d'extraction qui ont évolué avec le temps:
-L'exploitation des sables bitumineux se fait via des méthodes essentiellement d'origine minière. De nouvelles technologies ont été développées ces dernières années en injectant de la vapeur d'eau afin de liquéfier ce pétrole et le pomper.
-L'exploitation d'un champ conventionnel est plus "aisée". Nous sommes passés de l'exploitation des réserves "onshore" à de l'"offshore profond". L'amélioration de la sismique, ainsi que l'amélioration des techniques d'extraction ont sans cesse repoussé les seuils de production.
Sur la base d'un même nombre de barils en terre, on a pu ainsi maintenir des réserves "prouvées" à l'équilibre voire en augmentation, et ce, grâce à l'évolution de la technologie.
Malgré la raréfaction des découvertes majeures au cours des 3 dernières décennies, les compagnies nationales ou privées pétrolières ont pu ainsi afficher des réserves "prouvées" à l'équilibre. En 1970, on nous prédisait 40 ans de réserve. En 2007, c'est toujours la cas...
Je vais aller plus loin en affirmant que nous disposons de réserves énormes de pétrole, que nos desendants, aprés plusieurs générations, connaîtront encore le pétrole. Ce n'est pas un problème de réserve, c'est un problème de volume de production. Le débat est tronqué car les techniques permettent d'améliorer l'extraction, c'est vrai, mais elles ne peuvent pas aller à l'encontre de la géologie, et notamment, du phénomène de dépletion.
Le phénomène de dépletion est la chute de production d'un réservoir suite à son exploitation. La pression interne, moteur de l'expulsion du pétrole, s'affaiblit et finit par décroître. Les nouvelles techniques d'extraction mentionnées plus haut ont pour but, la plupart du temps, de maintenir cette pression en injectant du gaz, des fluides afin de comprimer le pétrole et d'augmenter les débits de production. Le revers de la médaille est, le plus souvent, une "durée de vie" plus courte du réservoir, on extrait ce pétrole plus vite, en masse, mais on altère le profil de production originel.
Ceci aboutit au bout de quelques années d'exploitation à une chute de la production plus ou moins marquée en fonction des techniques d'extraction utilisées.
Revenons à notre paysage "géologique" actuel.
Nous pouvons distinguer deux acteurs au sein de l'offre pétrolière, l'OPEP et le reste des producteurs.
Officiellement, les producteurs hors OPEP ont entamé un déclin sauf la Russie. La production en provenance de ces pays est en diminution. Là-dessus, plus personne ne contexte cet élément factuel.
"l'Industrie pétrolière en 2005" DIREM Juillet 2006"
Extrait:
"L'ensemble des pays de l'OCDE connaît une baisse importante de sa production. Les Etats-Unis ont dû faire face en 2005 aux conséquences des ouragans Katrina et Rita, qui ont amputé la production d'environ 100 millions de barils. Mais ils sont aussi confrontés, comme le reste des pays de la zone OCDE, au déclin de leurs champs matures qui entraîne une baisse inéluctable de la production. C'est ainsi que la production en mer du Nord (Norvège, Royaume-Uni) décroît de près de 9 % pendant l'année 2005"
http://www.industrie.gouv.fr/energie/petrole/textes/explo-pro-monde05.htm
Ainsi, le monde Hors OPEP ( soit plus de 50% de la production mondiale) est entré en dépletion, c'est à dire en chute de production. Est-ce inéluctable?
Difficile à affirmer sans hésitations mais il semblerait qu'il soit délicat à l'avenir d'inverser la tendance.
Il ne reste donc plus que l'OPEP, avec ses 40% de parts de marché, seule capable d'augmenter significativement ses volumes de production. C'est à ce niveau que le doute s'installe. Le sous-investissement des années 90 a été flagrant et se paye aujourd'hui. L'OPEP possède-t-elle des capacités supplémentaires de production?
Certains adeptes du "peak oil"vous affirmeront que l'OPEP a touché également un maximum de production en 2006 ou est proche de le toucher.
D'autres affirment que cela ne tient qu'à une volonté politique, l'OPEP instrumentalisant les tensions sur la demande pour profiter à plein de l'envolée des prix.
Quoiqu'il en soit, tout va dépendre de l'OPEP. C'est ce qui est le plus inquiètant.
Les réticences de l'OPEP en 2007 à augmenter son volume de production( malgré une envolée des prix, une contraction de la demande aux US ainsi que la chute historique des stocks de brut) semblent aller dans le sens des "peakistes", à savoir des tensions sur l'offre se greffant aux tensions sur la demande.
L'OPEP dispose-t-elle de capacités supplémentaires de production?
Je le pense. Mais pour combien de temps?
Car un autre scénario se joue sur la scène mondiale..celui de l'accroissement de la demande, et ce, de manière structurelle. Les prévisions de l'AIE tablent sur une demande pétrolière à hauteur de 110 M. de barils par jour d'ici 15/20 ans.
Or, à l'heure actuelle, l'offre pétrolière se situe aux alentours des 85M. de barils/jour.
Le changement de paradigme possède donc un double fondement:
-Un accroissement important de la demande à venir
-Des difficultés à augmenter les capacités de production
Que penser des solutions alternatives ou complémentaires souvent évoquées?
Les sables bitumineux:
Extrèmement difficile à extraire et à valoriser. Ce sont des projets trés capitalistiques qui subissent une explosion des coûts de production, dont les conséquences sur l'environnement sont lourdes.
Le Canada table sur une production d'ici 10 ans de l'ordre de 3M. de barils/jour ou guère plus..pas de quoi changer la face du monde.
Les schistes ou kérogène:
A l'étude, toujours à l'étude, et ce, malgré un baril à près de 100$. La technologie n'est pas au point.
Offshore profond:
Le plus prometteur mais long, trés long à mettre en route. C'est à ce niveau que les plus belles surprises pourraient intervenir en terme de découvertes majeures ( cf dernière découverte au Brésil d'un champ majeur).
Les nouvelles technologies d'extraction:
Un potentiel certain, je pense à l'utilisation des méthodes d'extraction par gravitation à l'essai en ce moment. Les taux de récupération pourraient considérablement augmenter mais pas, a priori, les volumes de production.
Les énergies "propres":
Toutes les prévisions de l'AIE tablent sur une part relativement mince d'ici 20 ans de ces sources d'énergie. Une crise pétrolière grave pourrait changer la donne..
A mes yeux, la question cruciale n'est pas celle de la raréfaction, contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, c'est celle du "découplage", pour reprendre un terme à la mode, entre l'offre et la demande de produits pétroliers. La question fondamentale est celle de la capacité des producteurs à augmenter le volume de barils sur le marché. A ce niveau, je suis plutôt perplexe, non pas dans les mois ou les deux-trois années à venir mais dans lors de la prochaine décennie. Il se pourrait que ce choc de la demande se transforme en un choc de l'offre, mais cette fois-ci fondé sur des raisons "géologiques". Cette prise de conscience semble graduelle à l'heure actuelle car l'OPEP avance toujours l'argument qu'elle pourra répondre à l'accroissement de la demande. Il se peut que la décennie 2010-2020 nous réserve une surprise à ce niveau, ce qui ne manquerait pas d'aboutir à des "perturbations" importantes non seulement sur les marchés financiers mais surtout dans l'économie réelle.
Investir sur le pétrole et sur les sociétés pétrolières semble être un choix "Gagnant-gagnant"à l'avenir sauf catastrophe économique majeure ou révolution technologique.
Toutefois, le choix des supports sera primordial. Nous développerons ces aspects dans un prochain commentaire.
mercredi 5 décembre 2007
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