Érik Izraelewicz
La Tribune
Rien ne va plus. L'once d'or à 1.000 dollars, ce n'est pas seulement un record, ni un nouveau seuil qui est franchi, c'est aussi le reflet d'un tournant dans la crise que vit la finance mondiale depuis l'été dernier. Cette semaine, une semaine noire, tout est venu confirmer que l'Amérique était bien désormais en récession. Tout est venu démontrer aussi la puissance des effets dominos tant redoutés : la défaillance des familles américaines affecte tous les acteurs de la finance, tous les secteurs de l'économie aussi. Tout est venu démentir enfin les théories en vogue du " découplage ", ces élucubrations d'économistes en chambre qui soutenaient que cette crise resterait cantonnée à l'Amérique. La dérive du dollar semble désormais incontrôlable. Elle est un facteur général de déstabilisation - des marchés, des échanges et des économies. Elle alimente l'envolée des matières premières, de l'or notamment, redevenu une valeur refuge. Rien ni personne ne semble plus capable d'arrêter cette descente aux enfers du billet vert. Les banques centrales, unanimes, engagent un troisième plan de sauvetage, d'une ampleur exceptionnelle. Jean-Claude Trichet, le très prudent patron de la BCE, ose, une fois n'est pas coutume, parler clairement. Le président des États-Unis lui-même, George Bush, monte au créneau - il dénonce les effets négatifs d'un dollar faible pour le consommateur américain. Il fait aussi concocter par son grand argentier, Henry Paulson, une panoplie de mesures destinées à remettre de l'ordre dans la finance locale. Rien n'y fait. Face à la crise, la parole des grands argentiers apparaît dévaluée, celle de la Maison-Blanche aussi. On découvre ainsi une finance mondiale hors de tout contrôle, une crise de confiance sans égale. Et c'est cela qui est inquiétant. Ce qui peut rassurer, c'est que les dirigeants les plus concernés, ceux les plus susceptibles d'avoir une action réelle sur ce monde-là - l'exécutif américain et les patrons des grandes banques centrales - ont, semble-t-il, enfin pris conscience de l'ampleur de la crise, de la nécessité aussi pour eux d'agir. On se demandait à quoi pourrait bien servir, dans l'avenir, le Fonds monétaire international. Il y a là, pour lui, un job. Encore faudrait-il que ces messieurs acceptent de le lui confier. Seul, le FMI ne mettra pas fin à la crise. Il peut, il doit néanmoins y aider.
samedi 15 mars 2008
lundi 10 mars 2008
La mondialisation a sonné la fin du «bon temps» de l'inflation tranquille
Paris -- La mondialisation est devenue un facteur d'accélération des prix en diffusant la flambée des matières premières, ont admis banquiers centraux américains et européens vendredi à Paris, confirmant que «le bon temps» était terminé pour l'économie planétaire.
«À bien des égards, le bon temps est derrière nous», a affirmé Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, qui organisait vendredi à Paris un colloque intitulé «Mondialisation, inflation et politique monétaire».
«La mondialisation a sans doute beaucoup aidé les Banques centrales au cours de la dernière décennie. Ce n'est plus, aujourd'hui, aussi évident», a-t-il souligné.
La mondialisation tempérait jusqu'à peu l'inflation, grâce aux biens fabriqués dans des pays à bas coût comme la Chine. Mais «la flambée des matières premières, notamment alimentaires», en raison d'un bond de la demande des pays émergents, a transformé l'intégration mondiale en vecteur de transmission des risques inflationnistes, a noté Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE). «En renforçant l'importance des chocs globaux [...], la mondialisation introduit une synchronisation plus poussée des cycles inflationnistes entre les pays, avec [des] risques d'amplification», renchérit M. Noyer.
L'inflation est au plus haut depuis des années dans la zone euro à 3,2 % sur un an en février, très au-delà de la limite de 2 % tolérée par la BCE. Aux États-Unis, la hausse des prix atteignait 3,7 % sur un an en janvier, son sommet depuis plus de 17 ans. Des chiffres d'autant plus inquiétants que «si l'économie des pays émergents résiste au ralentissement économique actuel, les prix des matières premières devraient rester élevés», remarque le numéro deux du Fonds monétaire international (FMI), John Lipsky. Les prix du pétrole semblent corroborer cette prophétie: depuis le début de la semaine, ils ont successivement franchi les seuils de 102, 103, 104, 105 $ le baril à New York, frôlant 106 $ jeudi.
Le regain d'inflation en Europe entrave l'action de l'institut monétaire européen en l'empêchant de baisser ses taux d'intérêt pour donner de l'air à l'économie européenne, confrontée à un net ralentissement économique. Aux États-Unis aussi, la mondialisation «rend plus difficile» la tâche des banques centrales, a admis Richard Fisher, président de la Banque de réserve fédérale de Dallas. Pour autant, M. Fisher a tenu à «décourager» ceux qui pensent que la Réserve fédérale américaine, face au nouvel accès de faiblesse des marchés boursiers ces derniers jours, va réitérer la baisse de taux rapide de 1,25 point de pourcentage du mois de janvier. «Je ne pense pas qu'on puisse avoir une croissance durable de l'emploi sans inflation sous contrôle, et c'est pour cela que je suis personnellement réticent à l'idée de baisser plus les taux d'intérêt» aux États-Unis, a-t-il fait valoir.
Déclarant qu'il «admire» la BCE et son président Jean-Claude Trichet, M. Fisher a insisté sur le fait que les banques centrales doivent rechercher «une croissance durable non inflationniste». La présidente de la Banque fédérale de réserve de San Francisco Janet Yellen croit elle que l'inflation va se tasser dans les années qui viennent, et retomber «sous 2 %» aux États-Unis. Une hypothèse toutefois fondée sur le scénario optimiste d'une croissance «modeste» des salaires et d'une stabilisation du prix des matières premières. Alors que l'inflation accélère même en Chine, le vice-président de la Banque centrale chinoise s'est simplement dit «confiant» dans le fait que hausse des prix se limiterait à un «niveau acceptable» cette année.
AFP Édition du lundi 10 mars 2008
«À bien des égards, le bon temps est derrière nous», a affirmé Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, qui organisait vendredi à Paris un colloque intitulé «Mondialisation, inflation et politique monétaire».
«La mondialisation a sans doute beaucoup aidé les Banques centrales au cours de la dernière décennie. Ce n'est plus, aujourd'hui, aussi évident», a-t-il souligné.
La mondialisation tempérait jusqu'à peu l'inflation, grâce aux biens fabriqués dans des pays à bas coût comme la Chine. Mais «la flambée des matières premières, notamment alimentaires», en raison d'un bond de la demande des pays émergents, a transformé l'intégration mondiale en vecteur de transmission des risques inflationnistes, a noté Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE). «En renforçant l'importance des chocs globaux [...], la mondialisation introduit une synchronisation plus poussée des cycles inflationnistes entre les pays, avec [des] risques d'amplification», renchérit M. Noyer.
L'inflation est au plus haut depuis des années dans la zone euro à 3,2 % sur un an en février, très au-delà de la limite de 2 % tolérée par la BCE. Aux États-Unis, la hausse des prix atteignait 3,7 % sur un an en janvier, son sommet depuis plus de 17 ans. Des chiffres d'autant plus inquiétants que «si l'économie des pays émergents résiste au ralentissement économique actuel, les prix des matières premières devraient rester élevés», remarque le numéro deux du Fonds monétaire international (FMI), John Lipsky. Les prix du pétrole semblent corroborer cette prophétie: depuis le début de la semaine, ils ont successivement franchi les seuils de 102, 103, 104, 105 $ le baril à New York, frôlant 106 $ jeudi.
Le regain d'inflation en Europe entrave l'action de l'institut monétaire européen en l'empêchant de baisser ses taux d'intérêt pour donner de l'air à l'économie européenne, confrontée à un net ralentissement économique. Aux États-Unis aussi, la mondialisation «rend plus difficile» la tâche des banques centrales, a admis Richard Fisher, président de la Banque de réserve fédérale de Dallas. Pour autant, M. Fisher a tenu à «décourager» ceux qui pensent que la Réserve fédérale américaine, face au nouvel accès de faiblesse des marchés boursiers ces derniers jours, va réitérer la baisse de taux rapide de 1,25 point de pourcentage du mois de janvier. «Je ne pense pas qu'on puisse avoir une croissance durable de l'emploi sans inflation sous contrôle, et c'est pour cela que je suis personnellement réticent à l'idée de baisser plus les taux d'intérêt» aux États-Unis, a-t-il fait valoir.
Déclarant qu'il «admire» la BCE et son président Jean-Claude Trichet, M. Fisher a insisté sur le fait que les banques centrales doivent rechercher «une croissance durable non inflationniste». La présidente de la Banque fédérale de réserve de San Francisco Janet Yellen croit elle que l'inflation va se tasser dans les années qui viennent, et retomber «sous 2 %» aux États-Unis. Une hypothèse toutefois fondée sur le scénario optimiste d'une croissance «modeste» des salaires et d'une stabilisation du prix des matières premières. Alors que l'inflation accélère même en Chine, le vice-président de la Banque centrale chinoise s'est simplement dit «confiant» dans le fait que hausse des prix se limiterait à un «niveau acceptable» cette année.
AFP Édition du lundi 10 mars 2008
Le futur du LNG
"D'après Andrew Swiger, patron de la division "Energy and Gas Marketing" chez Exxon-Mobil, les capacités de production et d'acheminement du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) devraient quadrupler d'ici à 2030. C'est ce qu'il a déclaré à la GasTech Conférence qui s'est tenue hier, le 9 Mars 2008, à Bangkok. D'après lui les besoins en GNL devraient passer de 100 millions de tonnes en 2000 à 500 milions de tonnes en 2030. Exxon est en particulier, très actif au Qatar qui est devenu le premier exportateur mondial de GNL. Exxon et Qatargas construisent quatre trains de liquéfaction de 7,8 millions de tonnes de capacité annuelle. Ils ont également lancé une nouvelle génération de méthaniers, les Q-Flex qui sont les plus gros du moment."
Source: Le blog énergie
Suite de l'article:
http://www.leblogenergie.com/2008/03/le-gaz-naturel.html
Un site à consulter également:
http://energie.sia-conseil.com/?p=769
Source: Le blog énergie
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Un site à consulter également:
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dimanche 9 mars 2008
La finance est anormale
Source: Les Echos
"Normalement, la crise du « subprime » n'aurait jamais dû arriver. D'ailleurs, il y avait une chance sur un million qu'elle éclate. Elle devait se produire une fois tous les 30.000 ans. Voilà ce que l'on entend parfois dans les salles de marchés ou les conseils d'administration. Ces lamentations ne constituent pas seulement l'expression d'un sentiment douloureux en ces temps de bonus ratatinés. Elles reflètent aussi l'écart entre « ce que disent les modèles » et la réalité. Comme si de malicieux lutins de la finance s'évertuaient à faire dévier les courbes que les humains s'échinent à prévoir. A moins que...
A moins que le problème soit dans le modèle et non dans la réalité. Ce qui permettrait de comprendre pourquoi les financiers se trompent avec une telle constance, gonflant bulle sur bulle depuis une génération - depuis les pays émergents au début des années 1980 jusqu'à la crise actuelle, en passant par les « savings and loan » à la fin des années 1980, le Mexique en 1994, l'Asie en 1997-1998, la quasi-faillite du fonds LTCM en 1998 et l'explosion de la folie Internet en 2000.En réalité, il y a une erreur fondamentale dans la finance moderne. Ce n'est pas la finance elle-même, comme on a parfois tendance à le croire en France. Le marché des changes est précieux, tout comme la Bourse, les titres de dettes, les produits dérivés et même la titrisation qu'il est de bon ton de mépriser par les temps qui courent.
Tout est utile dans la finance, comme tout est bon dans le cochon. Le problème est dans la façon dont nous la regardons. C'est bien le modèle qui est en cause, un modèle qui remonte très loin. Au début du XIXe siècle, l'Allemand Carl Gauss émet une hypothèse sur la probabilité des erreurs de mesure à propos des mouvements des étoiles. Dans sa lignée, ses successeurs traceront la fameuse « courbe de Gauss », qui dessine une distribution de probabilités. C'est une magnifique cloche : la probabilité d'un événement moyen est grande, la probabilité d'un événement extrême, dans la « queue » de la distribution, est infime.
Au milieu du XIXe siècle, Adolphe Quételet, qui fonda en Belgique le premier bureau statistique de l'histoire, montra que cette courbe s'applique dans nombre de cas. Dans une population, la plupart des hommes mesurent entre 1,60 mètre et 1,90 mètre et il y en a une très petite minorité qui font moins de 1 mètre ou plus de 2,50 mètre.La courbe de Gauss, bâtie autour de la moyenne, ou la norme, devient ainsi la loi « normale ». En 1900, elle entre dans la finance. Le mathématicien Louis Bachelier présente sa thèse, « La théorie de la spéculation », après avoir scruté les cours de la « rente perpétuelle », le milliard donné aux nobles émigrés sous la Révolutuion et revenus en France en 1815. Il montre que les variations de prix suivent une loi gaussienne, avec des mouvements browniens (des écarts aléatoires). Un demi-siècle plus tard, l'Américain Harry Markowitz propose le premier grand modèle de gestion de portefeuille d'actifs, lui aussi centré sur une loi de Gauss. Cette théorie lui vaudra le prix Nobel d'économie en 1990.Pourtant, au début des années 1960, un trublion, Benoît Mandelbrot, remet en cause le recours à la loi « normale ». Ce mathématicien a créé un étrange objet mathématique, les fractales, en observant une courbe des prix du coton. Les variations de prix ne suivent pas une loi de Gauss, affirme Mandelbrot, mais une loi de Pareto. Autrement dit, les « queues » de la distribution ne sont pas si fines que ça - les Anglo-Saxons parlent de « fat tales », qui donnent en français un peu élégant « queue épaisse ».
Des événements jugés très improbables dans la loi « normale » ne sont pas si improbables que ça dans la réalité. Les krachs et les booms peuvent donc exister... Mais, à l'époque, les mathématiciens ne savent pas encore traiter les hypothèses de Mandelbrot. Faute d'outil adapté, l'analyse financière se développe avec la loi « normale ». C'est encore le cas aujourd'hui. Un peu comme si nous allions toujours faire notre lessive au lavoir, parce que le lave-linge n'avait pas été inventé assez tôt...En 1973, deux économistes, Fisher Black et Myron Scholes, déterminent le moyen de calculer le prix d'une option sur action à partir d'hypothèses fondées sur la loi « normale ». Simple, élégante, la formule de Black et Scholes connaît un énorme succès. Elle pénètre absolument toute la finance moderne pour évaluer les risques : les salles de marchés, les écoles de commerce, les modèles des superviseurs et même les calculettes ! Myron Scholes aura d'ailleurs lui aussi le Nobel d'économie en 1997 avec l'un de ses collègues, Robert Merton (Black est décédé deux ans plus tôt).
Le problème, c'est que Mandelbrot avait raison. La finance est « anormale » : elle ne respecte pas la loi de Gauss. Les événements improbables se produisent infiniment plus souvent que ne l'indique la « normalité ». Myron Scholes et Robert Merton en ont d'ailleurs donné une preuve éclatante malgré eux. En 1994, ils s'associent à la création d'un fonds de placement baptisé Long Terme capital management (LTCM). S'appuyant sur leurs travaux, le fonds gagnait des fortunes en prenant des positions très risquées. Jusqu'en 1998 où un accident qui ne devait pratiquement jamais se produire, tout au bout de la queue des probabilités, est arrivé - en l'occurrence, l'incapacité du gouvernement russe de verser ce qu'il devait aux souscripteurs de ses obligations, événement qui avait pourtant un précédent célèbre. Le fonds LTCM s'est alors trouvé en péril avec des positions qui avoisinaient 100 milliards de dollars ! La Réserve fédérale de New York a dû forcer la main de ses principaux créanciers pour éviter une faillite qui menaçait d'ébranler toute la finance internationale...Malgré cet avertissement, la planète financière continue d'évaluer le risque avec la « Black et Scholes ».
La formule magique est employée dans les calculs qui servent à la fabrication des produits structurés, ces fameux produits à trois ou quatre lettres comme les CDO, les CLO ou les ABCP. La grande majorité des produits financiers sont bâtis avec un système qui sous-évalue grossièrement le risque, comme les faits l'ont prouvé à maintes reprises. Nombre d'opérateurs financiers se comportent donc comme des automobilistes atteints d'un glaucome. Sur une autoroute dégagée, ils n'ont aucun problème, malgré leur champ visuel réduit. Quand la route tourne ou quand un cerf hésite à traverser, ils sont en danger. Un jour, ils devront accepter l'idée que la finance n'est pas normale. Bien sûr, il y aura toujours des bulles financières. Et rien ne pallie les effets désastreux d'une mauvaise réglementation, comme celle sur les prêts immobiliers aux Etats-Unis. Mais, en minimisant les risques, l'idée d'une finance normale maximise les effets des chocs"
"Normalement, la crise du « subprime » n'aurait jamais dû arriver. D'ailleurs, il y avait une chance sur un million qu'elle éclate. Elle devait se produire une fois tous les 30.000 ans. Voilà ce que l'on entend parfois dans les salles de marchés ou les conseils d'administration. Ces lamentations ne constituent pas seulement l'expression d'un sentiment douloureux en ces temps de bonus ratatinés. Elles reflètent aussi l'écart entre « ce que disent les modèles » et la réalité. Comme si de malicieux lutins de la finance s'évertuaient à faire dévier les courbes que les humains s'échinent à prévoir. A moins que...
A moins que le problème soit dans le modèle et non dans la réalité. Ce qui permettrait de comprendre pourquoi les financiers se trompent avec une telle constance, gonflant bulle sur bulle depuis une génération - depuis les pays émergents au début des années 1980 jusqu'à la crise actuelle, en passant par les « savings and loan » à la fin des années 1980, le Mexique en 1994, l'Asie en 1997-1998, la quasi-faillite du fonds LTCM en 1998 et l'explosion de la folie Internet en 2000.En réalité, il y a une erreur fondamentale dans la finance moderne. Ce n'est pas la finance elle-même, comme on a parfois tendance à le croire en France. Le marché des changes est précieux, tout comme la Bourse, les titres de dettes, les produits dérivés et même la titrisation qu'il est de bon ton de mépriser par les temps qui courent.
Tout est utile dans la finance, comme tout est bon dans le cochon. Le problème est dans la façon dont nous la regardons. C'est bien le modèle qui est en cause, un modèle qui remonte très loin. Au début du XIXe siècle, l'Allemand Carl Gauss émet une hypothèse sur la probabilité des erreurs de mesure à propos des mouvements des étoiles. Dans sa lignée, ses successeurs traceront la fameuse « courbe de Gauss », qui dessine une distribution de probabilités. C'est une magnifique cloche : la probabilité d'un événement moyen est grande, la probabilité d'un événement extrême, dans la « queue » de la distribution, est infime.
Au milieu du XIXe siècle, Adolphe Quételet, qui fonda en Belgique le premier bureau statistique de l'histoire, montra que cette courbe s'applique dans nombre de cas. Dans une population, la plupart des hommes mesurent entre 1,60 mètre et 1,90 mètre et il y en a une très petite minorité qui font moins de 1 mètre ou plus de 2,50 mètre.La courbe de Gauss, bâtie autour de la moyenne, ou la norme, devient ainsi la loi « normale ». En 1900, elle entre dans la finance. Le mathématicien Louis Bachelier présente sa thèse, « La théorie de la spéculation », après avoir scruté les cours de la « rente perpétuelle », le milliard donné aux nobles émigrés sous la Révolutuion et revenus en France en 1815. Il montre que les variations de prix suivent une loi gaussienne, avec des mouvements browniens (des écarts aléatoires). Un demi-siècle plus tard, l'Américain Harry Markowitz propose le premier grand modèle de gestion de portefeuille d'actifs, lui aussi centré sur une loi de Gauss. Cette théorie lui vaudra le prix Nobel d'économie en 1990.Pourtant, au début des années 1960, un trublion, Benoît Mandelbrot, remet en cause le recours à la loi « normale ». Ce mathématicien a créé un étrange objet mathématique, les fractales, en observant une courbe des prix du coton. Les variations de prix ne suivent pas une loi de Gauss, affirme Mandelbrot, mais une loi de Pareto. Autrement dit, les « queues » de la distribution ne sont pas si fines que ça - les Anglo-Saxons parlent de « fat tales », qui donnent en français un peu élégant « queue épaisse ».
Des événements jugés très improbables dans la loi « normale » ne sont pas si improbables que ça dans la réalité. Les krachs et les booms peuvent donc exister... Mais, à l'époque, les mathématiciens ne savent pas encore traiter les hypothèses de Mandelbrot. Faute d'outil adapté, l'analyse financière se développe avec la loi « normale ». C'est encore le cas aujourd'hui. Un peu comme si nous allions toujours faire notre lessive au lavoir, parce que le lave-linge n'avait pas été inventé assez tôt...En 1973, deux économistes, Fisher Black et Myron Scholes, déterminent le moyen de calculer le prix d'une option sur action à partir d'hypothèses fondées sur la loi « normale ». Simple, élégante, la formule de Black et Scholes connaît un énorme succès. Elle pénètre absolument toute la finance moderne pour évaluer les risques : les salles de marchés, les écoles de commerce, les modèles des superviseurs et même les calculettes ! Myron Scholes aura d'ailleurs lui aussi le Nobel d'économie en 1997 avec l'un de ses collègues, Robert Merton (Black est décédé deux ans plus tôt).
Le problème, c'est que Mandelbrot avait raison. La finance est « anormale » : elle ne respecte pas la loi de Gauss. Les événements improbables se produisent infiniment plus souvent que ne l'indique la « normalité ». Myron Scholes et Robert Merton en ont d'ailleurs donné une preuve éclatante malgré eux. En 1994, ils s'associent à la création d'un fonds de placement baptisé Long Terme capital management (LTCM). S'appuyant sur leurs travaux, le fonds gagnait des fortunes en prenant des positions très risquées. Jusqu'en 1998 où un accident qui ne devait pratiquement jamais se produire, tout au bout de la queue des probabilités, est arrivé - en l'occurrence, l'incapacité du gouvernement russe de verser ce qu'il devait aux souscripteurs de ses obligations, événement qui avait pourtant un précédent célèbre. Le fonds LTCM s'est alors trouvé en péril avec des positions qui avoisinaient 100 milliards de dollars ! La Réserve fédérale de New York a dû forcer la main de ses principaux créanciers pour éviter une faillite qui menaçait d'ébranler toute la finance internationale...Malgré cet avertissement, la planète financière continue d'évaluer le risque avec la « Black et Scholes ».
La formule magique est employée dans les calculs qui servent à la fabrication des produits structurés, ces fameux produits à trois ou quatre lettres comme les CDO, les CLO ou les ABCP. La grande majorité des produits financiers sont bâtis avec un système qui sous-évalue grossièrement le risque, comme les faits l'ont prouvé à maintes reprises. Nombre d'opérateurs financiers se comportent donc comme des automobilistes atteints d'un glaucome. Sur une autoroute dégagée, ils n'ont aucun problème, malgré leur champ visuel réduit. Quand la route tourne ou quand un cerf hésite à traverser, ils sont en danger. Un jour, ils devront accepter l'idée que la finance n'est pas normale. Bien sûr, il y aura toujours des bulles financières. Et rien ne pallie les effets désastreux d'une mauvaise réglementation, comme celle sur les prêts immobiliers aux Etats-Unis. Mais, en minimisant les risques, l'idée d'une finance normale maximise les effets des chocs"
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