"La Vie Financière N°3269 / Vendredi 01 Fevrier 2008 à / Catégorie : Interview
Pour avoir anticipé le krach de 1987 et la bulle japonaise en 1989, Felix Zulauf fait autorité dans le cercle des meilleurs gestionnaires suisses. Il redoute une crise économique longue.
Felix Zulauf, président fondateur de Zulauf Asset Management Vous aimez commencer vos analyses par l'étude des grands cycles ?
F. Z. Oui, les boursiers ont tendance à se focaliser sur le très court terme et ne voient pas toujours les tendances de fond. Commençons par les taux : ils baissent depuis près d'un quart de siècle ! Nous sommes proches des plus-bas de 2003, à environ 3 % pour les emprunts à dix ans américains, contre près de 15 % en 1987. Non seulement il n'y a plus rien à gagner sur les obligations, mais un des grands facteurs de soutien des marchés d'actions va disparaître. Dans peu de temps, les taux repartiront à la hausse, partout dans le monde et pour de longues années.
Et les actions ?
Après près de vingt ans de hausse, de 1982 à 2000, les marchés américains et européens sont entrés dans une phase de consolidation. Ils connaîtront de fortes variations cycliques, mais il n'y pas grand-chose à attendre pour les dix années qui viennent. Les marchés émergents, stimulés par leur croissance à long terme, pourront tirer leur épingle du jeu.
Pourquoi tant de pessimisme pour les pays développés ?
Les excès sont importants. La crise immobilière dans les pays anglo-saxons ne peut se résoudre avant plusieurs années à cause des stocks considérables d'invendus. Dans certaines régions qui ont connu une forte activité spéculative, il faudra au moins quatre ans pour résorber le stock. En Floride, j'ai vu de véritables villes fantômes. La baisse a déjà commencé. L'indice très large de l'immobilier américain, le S&P/Case-Shiller, a déjà perdu 7 % mais, dans beaucoup de régions, les prix ont déjà chuté de 20 %. Seuls les biens d'une qualité tout à fait exceptionnelle peuvent trouver acquéreur. L'immobilier commercial sera également touché. En France, les prix ont grimpé plus qu'aux Etats-Unis. Ils baisseront donc également.
Et le marché hypothécaire ?
Les boursiers commencent à comprendre l'étendue du problème des subprimes, mais ils sous-estiment considérablement celui des CDS. Le marché non régulé des credit default swaps est gigantesque. Il est beaucoup plus important que celui des subprimes (environ 9 000 milliards de dollars). La créativité des financiers s'est attaquée à tout l'univers du crédit. Une banque achète un package de crédits et l'assure auprès d'un hedge fund ou d'une autre entité, mais ces derniers n'ont pas les capitaux adéquats pour ce type de risque, ce qui déclenche des faillites en chaîne. Les Etats devront intervenir en créant toujours plus de liquidités. Enfin, les finances du consommateur américain, qui contribue pour 70 % au PIB, sont à un plus-bas historique. Le taux d'épargne des ménages, qui était de 13 % en 1982, est maintenant négatif.
Les Américains vont devoir reconstituer leur épargne.
C'est la cause du ralentissement américain ?
C'est une récession américaine qui se profile. Elle ne prendra pas la forme d'un V (baisse suivie rapidement d'une remontée) comme en 1990 ou en 2000, mais celle d'un L (forte baisse de l'activité sans reprise rapide). Au contraire, la contraction économique sera longue, dure et profonde.
L'Europe peut-elle tirer son épingle du jeu ?
Ceux qui croient cela croient aux contes de fées. L'Europe entrera en récession d'ici douze mois. Le Japon sera moins vulnérable car il a déjà purgé ses excès, tandis que les marchés émergents continueront à progresser mais avec des taux de croissance plus faibles.
Les Bourses, faiblement valorisées, peuvent-elles tirer leur épingle du jeu ?
Oui ! Les Bourses ne sont pas très chères mais les bénéfices des sociétés sont à un plus-haut historique et ils baisseront. Je crois à une poursuite de la baisse des actions pour le début de ce semestre avec une reprise dès que les gouvernements annonceront des programmes de grands travaux et des mesures fiscales de relance. La baisse des taux va se poursuivre, mais elle ne sert pas à grand-chose. Nous sommes dans une période de contraction du crédit. Et ce n'est pas parce que le coût de l'argent sera moins élevé que les banques pourront relancer leur activité de prêt. A terme, le conflit entre les forces de déflation venant des pays émergents et les forces inflationnistes dues à l'augmentation des masses monétaires partout dans le monde verra malheureusement la victoire des secondes. L'inflation reviendra.
C'est bon pour les matières premières et pour l'or ?
L'or fera mieux que les actions, c'est certain. Les matières premières terminent leur correction. Leur hausse peut encore se poursuivre dix ans. Le pétrole peut corriger vers 70 dollars mais, à terme, il faudra compter avec l'or noir à 300 dollars le baril."
Pris sur le forum pétrole de Boursorama.
Je partage les gros traits de ce raisonnement.
Laloss
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L’or retrouve son statut de valeur refuge dans le monde des placements
Clément Gignac
Économiste en chef et stratège
Financière Banque Nationale
04 février 2008
Le 17 août 2007, nous avons relevé notre cours cible pour l’or de 650 $ à 900 $, devant l’augmentation des probabilités d’une récession américaine, que nous situions alors à 50 %. En moins de six mois, le prix du lingot a atteint notre cible et de nouveaux sommets. Cette semaine, nous avons de nouveau haussé notre cours cible pour l’or, qui passe de 900 $ à 1 500 $ l’once. Nous nous attendons à ce que, d’ici 12 à 18 mois, l’or se négocie à 1 500 $ l’once. Voici pourquoi le métal jaune a tant grimpé et devrait continuer sur cette voie. Il y a cinq grandes raisons de prévoir que l’or continuera de monter : l’instabilité financière et les radiations massives des banques, les injections massives de liquidités et le retour à des taux réels négatifs, le recul de la valeur et du rôle du billet vert américain, l’augmentation du déficit budgétaire américain et, enfin, la demande accrue d’origine financière d’or en tant que classe d’actif distincte.
1) Instabilité financière et radiations massives d’actifs par les banques
Depuis l’implosion de la bulle immobilière résidentielle aux États-Unis et l’éclatement de la crise du crédit, les marchés financiers sont redevenus nettement plus volatils devant le spectre d’une récession. Évidemment, les radiations massives d’actifs – plus de 130 milliards de dollars – annoncées à ce jour par plusieurs grandes banques du monde (même sur des placements initialement cotés A A A par les agences de notation) ont ébranlé la confiance des investisseurs. Alors que beaucoup d’experts appréhendent une récession aux États-Unis, il faut s’attendre à ce que ce chiffre gonfle encore au cours des prochains mois. L’encours total des prêts hypothécaires dits à haut risque frise les 1 500 milliards de dollars outre-frontière. Bien que nous estimions que le système financier soit assez solide pour résister à ce nouveau défi et que les banques centrales disposent de toute une panoplie d’outils pour limiter les effets de contagion sur l’économie, il faut s’attendre à ce que les marchés des capitaux restent volatils un certain temps encore.
2) Injections massives de liquidités et retour à des taux réels négatifs
Comme en témoigne l’abaissement par la Fed son taux directeur de 75 points de base à moins d’une semaine de sa réunion régulière, les autorités monétaires sont maintenant très préoccupées par l’instabilité des marchés des capitaux et l’état de santé de l’économie américaine. Ce changement de cap subit de la Fed a surpris nombre d’observateurs aguerris et tend à confirmer la gravité de la situation et à mettre en lumière les défis auxquels la Fed est confrontée en cette année d’élection présidentielle. Historiquement, des taux réels négatifs ont été très positifs pour le prix de l’or.
3) Recul de la valeur et du rôle du billet vert américain
Cette forte baisse du taux directeur de la Fed dans un contexte de déséquilibre commercial important et de difficultés financières de banques des États-Unis réduira l’engouement des investisseurs étrangers pour les actifs américains. Bien qu’il ait fortement diminué par rapport aux principales devises occidentales depuis trois ans, le dollar US est demeuré relativement ferme par rapport à un panier plus large de 26 monnaies. Or, la remontée des tensions inflationnistes en Chine milite en faveur d’une réévaluation plus rapide du yuan et, par ricochet, du principal partenaire commercial de la Chine, le Japon. Qui plus est, certains pays de l’OPEP parlent de plus en plus publiquement de la possibilité d’abandonner l’indexation sur le dollar américain ou de la volonté des membres de l’OPEP d’indexer le prix du pétrole sur un panier de devises au lieu du billet vert. Ces phénomènes en cours ou appréhendés confirmeront le déclin de la valeur du billet vert et surtout de son rôle comme monnaie de référence dans le commerce mondial.
4) Remontée du déficit budgétaire américain et des attentes inflationnistes
Dans un changement subit de priorité, l’administration Bush a rendu publique récemment une entente bipartite de l’ordre de 150 milliards de dollars (soit environ 1 % du PIB) pour relancer l’économie américaine et limiter les risques de récession. Bien qu’il nous paraisse tout à fait justifié pour éviter une récession longue et profonde, ce geste arrive un peu tard pour éviter complètement une récession et se traduira par une hausse non négligeable du déficit budgétaire à moyen terme (au-delà de 4 % du PIB attendu en 2009-10). Or, cet environnement simultané de fortes baisses des taux directeurs, de baisse du billet vert et de remontée du déficit budgétaire ressemble de plus en plus à une forme de monétisation de la dette des ménages américains et devrait tôt ou tard contribuer à une remontée des attentes inflationnistes. Outre les obligations à rendement réel, il ne faudrait pas se surprendre que l’or redevienne aux yeux des investisseurs un actif tangible recherché pour protéger la valeur actuelle des placements en dollars américains.
5) Demande accrue d’origine financière de l’or en tant que classe d’actif distincte
Résultat d’une forme d’innovation financière, il existe depuis un certain temps déjà des FCB (fonds d’or cotés en bourse) qui s’utilisent comme instruments de diversification des portefeuilles. En effet, les volumes d’or détenus par l’entremise de ces fonds atteignent maintenant plus de 800 tonnes et dépassent les réserves totales d’or détenues par la Banque centrale européenne. Alors que les investisseurs sont ébranlés ou déçus par la performance du secteur immobilier et des marchés des capitaux, il ne faudrait pas se surprendre de voir ce type d’instruments gagner en popularité au cours des prochaines années et, partant, entraîner une augmentation de la demande d’or.
En conclusion, nous sommes d’avis que l’or sera de plus en plus soutenu par le monde des placements, à mesure que les problèmes soulevés ci-dessus se confirmeront. Contrairement à d’autres matières premières, comme le pétrole qui, sur une base réelle, a atteint son sommet historique, l’or est encore relativement abordable, se situant bien en dessous de son sommet de 1980 en termes réels (le prix nominal corrigé de l’inflation). Nous pensons que l’or a un important potentiel de hausse et que, comme catégorie d’actif, il dépassera les autres placements en 2008.
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